Le dialogue interculturel dans la Caraïbe orientale

Publié le par CARIBARCHIPEL

 

Le 24 Avril 2008
 à l'Alliance française de Castries 

 

 

Madame,

Mesdames, Messieurs,

 

 

                               Je vous remercie tout d’abord de l’honneur que vous me faites de m’accueillir à cette table ronde, à l’occasion de la Journée Internationale de la Francophonie.

 

                              En tant que francophone, spécialiste de l’anglophonie, je voue une égale passion à la langue de Shakespeare et à celle de Molière, mais je nourris un sentiment bien plus intense à l’égard des cultures populaires de la Caraïbe.

                              Depuis 25 ans j’étudie la Caraïbe orientale sous un angle sociologique et je dois faire le constat suivant : Jamais les peuples de la région n’ont autant dialogué, jamais dialogue n’a été aussi inaudible. 

                                Je vais donc vous entretenir de questions qui m’ont effleuré au cours de ces dernières années, mais avant d’en venir au propos, je ne peux me résoudre à passer sous silence l’événement majeur de ce mois d’Avril 2008, la disparition du poète martiniquais, chantre de la négritude, Aimé Césaire.

                              Je m’appuierai donc sur quelques une de ses pensées pour témoigner, à ma mesure, de l’œuvre fraternelle et humaniste dont il nous a laissé le terrible héritage.

« L’heure de nous-même a sonné. » disait Césaire. Cessons d’être « le jouet sombre au Carnaval des autres ». Cette injonction a motivé mon axe de recherche et guidé mon ancrage dans ma région. Et si j’en viens à questionner l’existence d’un dialogue interculturel dans cette partie orientale de l’Archipel, c’est que je crois qu’il est vital de nous interroger sur notre « vivre ensemble ».

                                  J’entends par Caraïbe orientale, non pas l’entité institutionnelle que désigne Eastern Caribbean, associé au dollar du même nom, mais l’ensemble de ces espaces insulaires et maritimes qui s’étend des Iles Vierges à la Grenade, où la francophonie patrouille nos veines (Maximin, 2008).

 

                                  Existe-t-il un dialogue interculturel dans les Petites Antilles? Région d’ignorance interne et de fragmentation, disent certains.

 

                                  Posons le cadre de ce dialogue : S’agit-il  d’échanges de propos, de discussion visant à trouver un terrain d’entente…ou de répliques échangés entre les personnages d’une pièce de théâtre... ou encore d’un dialogue de sourds? S’agit- il d’un dialogue interactif ? Qui est maître du jeu ?

 

Ce qui est sûr c’est que notre région s’exprime en une multitude de monologues intérieurs.

 

  1. Persistance de monologues intérieurs

 

Que désigne « nous » pour un francophone ?What does an English-speaking Caribbean person mean by  « we »?Lè’w ka palé kréyol , sa ki « nou »,?

                               On s’aperçoit que selon le contexte, « We » ou « nou » peuvent indiquer des communautés différentes, mais il existe de manière concomitante, un sentiment d’appartenance à cette région que j’ai évalué en 2005 par une enquête réalisée dans un petit échantillon de 150 personnes. Il en ressort que le sentiment d’appartenance à la culture créole prédomine, même chez ceux qui ne s’expriment pas en langue créole.

                        En dépit de ce sentiment d’appartenance à une culture intérieure déterritorialisée et transnationale, il demeure des obstacles à l’expression de ce sentiment d’interculturalité. Stuart Hall écrit dans La question multiculturelle :

 

« Nous opérons souvent avec une conception trop simpliste du sentiment d’appartenance. C’est parfois quand nous luttons pour nous libérer de nos attaches, que nous nous disputons avec elles, que nous les critiquons ou nous nous y opposons, qu’elles nous parlent davantage»

 

Il propose de trouver un moyen inédit de combiner la différence et l’identité, ainsi, nous trouverons matière à identifier le je qui s’exprime. Et c’est là que commence le dialogue.

 

                      Quand Césaire écrit « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche », il apprivoise le mot, qu’il choisit avec précision, « il signe le triomphe de la vie sur le néant. Il va jusqu’au bout du je. » L’effet miroir,  produit par son œuvre créatrice, ouvre le dialogue avec tous les opprimés, de tous les territoires. Il choisit d’être le tambour de toutes les douleurs.[1] Ce monologue du poète n’est pas sans rappeler le dreadtalk des rastas, illustration de la libération des structures de la langue et affranchissement de la territorialité culturelle. Quand Walcott, dans Roseau Valley, dépeint le fantôme oxidé d’un passé plantationnaire et quand Kendell  Hippolyte décrit Ma Branch, dans Home Economics. Ils disent tous la même souffrance, celle de toutes les « Ma[2] » (Man) et de tous les ouvriers agricoles aux prises  avec cette blès, dont Jamaica Kincaid essaie de triompher par l’écriture romanesque, et dont Patricia Donatien nous offre une lecture philosophique dans un essai[i] récemment récompensé.

 

                 Autant de stratégies de démarcation subtiles pour éviter l’enfermement insulaire. Dans son Discours antillais, Glissant nous  propose une lecture optimiste de l’insularité:

              

         On prononce  ordinairement l’insularité comme un mode de l’isolement, comme une névrose d’espace. Dans la Caraïbe pourtant, chaque île est une ouverture. La dialectique Dehors-Dedans rejoint l’assaut Terre-Mer. C’est seulement pour ceux qui sont amarrés au continent Europe que l’insularité constitue prison. L’imaginaire des Antilles nous libère de l’étouffement. (Glissant, 1990,427)

 

                               L’héritage caraïbe s’est transmis principalement dans l’appréhension du milieu. Aussi, la mer et la terre fournissent de nombreuses opportunités de valorisation de ce dialogue culturel. D’autres domaines aussi variés que la phytothérapie, le conte et la musique gagnent à se protéger des velléités de ceux, qui, faisant fi de la fonction symbolique des objets et de leurs usages, en font un commerce ethnique très lucratif.

                              Les langues vernaculaires sont donc un vecteur de technicité à apprécier dans la transcription de ces savoirs populaires. En espace anglophone, les créoles à base lexicale française sont des garants de pratiques ancestrales transmises oralement. Ces dernières ont permis la préservation des noms amérindiens dans le milieu de la pêche par exemple (coulirou, titiri, balaou, lambi, …) et consolidé les échanges entre les travailleurs de la mer durant des siècles.[3] 

                             Le dialogue interculturel prend souvent des chemins de traverse - divers et non officiels -, il choisit de maronner. Pour le rendre plus efficace, il est utile de procéder à un examen des échanges existants, une évaluation des  pratiques de coopération linguistique et culturelle.

                            

                             

  1. La valeur structurante du dialogue

                      

                         Une démarche de construction doit être lancée par les acteurs qui croient en la valeur structurante de la communauté de destin.

                              En 2002, Ramon Monsoor, a proposé les solutions suivantes :

  • Sentir le rythme des Antilles,
  • Lire la littérature
  • Promouvoir la tradition orale par la fusion des langues vernaculaires.
  • Continuer à écrire sur nous-même

                         Patricia Hills Collins, géographe, soutient que si nous ne définissons pas nous mêmes d’autres nous définiront.

 

                           Il faut non seulement continuer à écrire sur nous-mêmes, mais également écrire les uns sur les autres. Cela implique que les francophones doivent produire des œuvres poétiques, musicales et romanesques à destination des anglophones. C’est également traduire en français et en créole les productions de nos voisins pour les rendre disponibles au plus grand nombre[4].

                           En confrontant nos écrits, nous révélerons, par un effet miroir, non pas nos divergences, mais ce que nous sommes. Et il nous apparaîtra notre mémoire partagée au-delà de nos territoires, en même temps que disparaîtront des stéréotypes émis les uns à l’égard des autres et qui résultent  des divergences conçues par les intérêts extrarégionaux.

                          L’ère de l’explication est révolue. L’autoanalyse et le discours ontologique doivent évoluer vers des actes concertés et solidaires. Pour les peuples de la Caraïbe, il est urgent de formuler des stratégies amenant à dépasser l’état de fragmentation, si longtemps décrié. Les différences de culture politique, qui ont conduit à l’éloignement, doivent être utilisées, par chacun, pour mettre fin au dialogue de sourds et engager l’œuvre de réhabilitation.

 

                         L’isolement paralysant et la surdétermination géographique que combattent les intellectuels dans les années soixante, en développant ce que Linda Gil appelle une pensée archipelique, ont engendré une poétique de la relation. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, la réappropriation de la zone orientale se lit et se joue des représentations :

Notre champ est de Mer, qui limite et qui ouvre… L’île est  amphithéâtre  aux gradins de mer, où la représentation est tentation : du monde.[5] (Glissant, 1990,158).

                            L’intention poétique des intellectuels caribéens est de constituer une véritable sphère régionale, à même de dépasser les fragmentations aliénantes.

                            Gil[6] repère un triple objectif à cette tâche : mener à bien la quête identitaire, se constituer en entité politique  et économique forte et inscrire l’archipel dans un univers globlisé.

                           Ce propos rejoint les aspirations de l’OECS, mais pour la francophone Stéphanie Bérard, les frontières sont plus hermétiques entre les îles francophones et le reste de la Caraïbe, les échanges entre hispanophones et anglophones étant plus fréquents (cf. cas d’Antigue[7]). Les obstacles géographiques, linguistiques et culturels ne peuvent être incriminés puisqu’ils existent dans tous les cas. Les DFA, ne peuvent arguer d’une quelconque barrière linguistique, puisqu’ils partagent un créole à base lexicale française avec leurs voisins anglophones les plus immédiats. Si la question revêt un volet politique, La France, avec l’Ambassade, les Alliances Françaises et la Francophonie, doit favoriser le développement des liens culturels entre la Martinique , la Guadeloupe et la Caraïbe orientale du Commonwealth.Il est certain que l’offre culturelle des DFA est bien moins riche que celle de la France, mais le chantier doit s’ouvrir.

                            Puisse cette table ronde contribuer à la formulation d’autres modalités de coopération, dans la réciprocité et le respect des peuples voisins, qui s’affranchissent du mimétisme réflexe de donateurs..

 A la place du post-colonialisme, on a inventé …une francophonie académique et officielle. Dans le cadre de la francophonie, on continue de fonctionner dans les topos centre/périphérie. La France étant le centre et l’origine de la langue et du pouvoir qui octroie, et la périphérie n’étant là que pour recevoir.[8]

Travailler à la culture francophone des îles requiert une stratégie de distinction et de  renforcement de l’identité des autres langues de la région (anglais,  créole, espagnol).

·         Répertorier les pratiques et les expériences menées à titre individuel

·         Etablir des réseaux de partenariat et d’échange entre les différents pays

·         Favoriser l’offre linguistique  partout dans l’archipel (aussi bien à titre privé que public).

·         évaluer les politiques et les coordonner…

·         Aider à une perception claire entre francophonie  et créolophonie

Par une égalité de traitement entre la langue créole et les langues coexistantes dans les productions culturelles.

·       Garder en perspectives : La langue doit servir de vecteur de développement et non de recolonisation : c'est un veritable outil du dialogue entre les peuples

·         S'assurer que la francophonie serve de marche pied pour prendre le train de la mondialisation culturelle ( cf programme européen)

 

C. Quel est l’intérêt du dialogue ?

 

Outre une meilleure connaissance mutuelle, poursuivre le dialogue au-delà des barrières physiques, permettra de prendre en compte les richesses de chacun et de surmonter ensemble les défis et les obstacles de la mondialisation culturelle.

 

La réhabilitation de l’archipel par une politique des langues est urgente si nous voulons

  • renforcer la connaissance de l’espace et faire coïncider la géographie mentale et physique pour tous les étudiants  de cette région. Eviter que les îles anglophones ne perçoivent les DFA comme étrangers- îles fantômes sur la carte de l’OECS- et envisager une expérience à partager sans condescendance et qui se départit des contraintes extrarégionales.
  •  Une politique linguistique permet de placer les hommes au cœur des projets.
  • Etablir de nouvelles relations interculturelles ou multiculturelles (de nouvelles stratégies) suppose le respect des acteurs locaux. La langue, vecteur de développement et non de recolonisation, outil du dialogue entre les peuples.

 

Poursuivre le dialogue au-delà des barrières physiques, doit servir à

- une meilleure gestion du patrimoine commun : La Mer Des Caraïbes, espace exceptionnel de biodiversité à protéger.

-   pour une appréhension collective des phénomènes naturels majeurs et un partage solidaire des richesses et des responsabilités.

  

                       Devons-nous aller jusqu’à envisager des structure transnationales pour que ce discours soit partagé par le plus grand nombre? Et pourquoi ne pas suggérer l’inscription d’un paragraphe sur la politique linguistique dans la Charte de l’OECS. Et que dire de la politique éducative et des diverses stratégies à mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs culturels ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Moi je gis, muré dans ma boite crânienne

  Dépoétisé dans ma langue et mon appartenance

  Déphasé, décentré dans ma coïncidence

Miron, Monologue de l’aliénation délirante. (Québec)

[2] Terme de respect qui précède le nom des tenancières de boutiks et lolos dans la Caraïbe.

[3]  Utilisation conjointe des DCP (FAD)

[4] Patricia Yssa Donatien vient d’obtenir le Prix Fanon pour un essai sur la blès dans une oeuvre de Jamaica Kincaid. Importance de cette recherche philosophique sur le vécu de la souffrance dans nos sociétés…

[4] Donatien-Yssa, Patricia. L’exorcisme de la blès : Vaincre la souffrance dans Autobiographie de ma mère de Jamaica Kincaid. Paris : Editions le manuscrit. Juin 2007

 

 

[5] Glissant, Le Discours Antillais ( trad. The Caribbean Discourse) 1990,158.

[6] Gil L. «  Les intentions poétiques des intellectuels antillais : de l’espace insulaire au Tout-Monde, l’Archipel une lente conquête ». In Bernardie, Nathalie, Taglioni, François Les dynamiques contemporaines des petits espaces insulaires : De l’île-relais aux réseaux insulaires, Paris : Karthala, (hommes et société ),2005. 434-435.

 

[7] Les Antilles ont développé une culture migratoire comme aucune autre région du monde.. Jessica Byron fournit un exemple riche d’enseignements. Dans une étude de cas[7], l’auteur observe que dans l’effort de construction d’une région caraïbe, l’étendu et la puissance migratoire des sociétés qui la composent n’ont jamais été reconnues comme force d’intégration.  L’auteur souligne que si la fragmentation, la multiplicité ethnique et la complexité des identités sont fréquemment avancées comme résultantes de la combinaison des contextes géographiques et historiques, la migration a été le facteur déterminant.

  Au sein de l’OECS, le cas d’Antigue est significatif. ( le flux migratoire reste positif )

 Cette migration possède les caractéristiques suivantes :

- Elle transcende les barrières linguistiques,

- Elle obéit à la règle de la proximité géographique en premier lieu.

- Elle se déroule en marge des structures officielles.

Les Dominicanos[7] constituent 23% de la main d’oeuvre à Antigue.( Les travailleurs non autochtones viennent également de Montserrat, de La Dominique et du Guyana). En 1998, le nombre de travailleurs hispanophones avoisinait les 7000 à Antigua et 2 000 à Saint-Kitts&Nevis (Aaron Segal, 1998).[7]  Ces vagues migratoires sont en réalité des répliques d’un processus historique. Les habitants de ces deux îles ont longtemps migré comme travailleurs saisonniers de la canne-à-sucre à Saint-Domingue. Des liens se sont tissés, certains sont restés et les descendants de ces mêmes immigrants ont émigré , à leur tour, en sens inverse, en quête de meilleures conditions de vie. Ce qui n’était souvent qu’une étape vers les Etats–Unis, au départ, devient définitif. Porteurs de l’imaginaire de leurs ancêtres, ils sont surpris de trouver à Antigue un environnement paisible et plus stable, ils y restent pour la plupart. (cf. Ma thèse est disponible en français à l’OECS.)

                                   

[8] Mongo-Mboussa (2000, p.30 cité par Bérard, p.398.)

 

 



 

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M
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D
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